A MON PERE....
Tu ne liras jamais ces lignes, d'ailleurs cela fait longtemps que tu ne sais plus ce que signifie le mot "mot", ou "lecture".
Depuis peu tu tournes en rond dans une chambre d'hôpital, psalmodiant des bouts de phrases sans queue ni tête. La pieuvre te bouffe le cerveau, et l'on sait à présent que le crabe se délecte de tes entrailles.
Hier, tu m'as prise pour un champignon, un "jauniret", comme on allait les cueillir à chaque automne. J'ai éclaté de rire, tu as souri.
Et puis tu m'as demandé si j'étais Dieu. Je t'ai répondu que j'aurais bien aimé.... Mais tu t'en fiches des réponses, tu ne les comprends pas. Alors tu ne les écoutes pas.
Dans un dernier éclair de lucidité tu m'as dit que tu voulais partir, et puis tu es allé dire bonjour au mur en face de ton lit. Je t'ai regardé et doucement je t'ai dit adieu. Pas tristement, non. La tristesse, toi et moi on l'a dépassée depuis longtemps. Le désespoir aussi.
Parce qu'il a fallu se battre jour après jour, pendant des années. J'ose dire ce soir que oui, nous avons été des guerriers magnifiques. Parce que personne ne nous le dira. Mais nous on sait.
Et on a gagné. Même si finalement tu as perdu.
On a gagné dix années sur cette putain de maladie à vivre l'un à côté de l'autre. A râler, à se bouffer le nez, à boire des coups... Notre façon à nous de nous aimer. Peu orthodoxe j'en conviens. Ma façon à moi de t'aider. Comme j'ai pu.
Je ne reviendrai plus te voir; quand tu comprends finalement qui je suis, une grande douleur te tord le coeur. Et puis je pense que tu ne comprendras plus qui je suis. Je préfère rester ce champignon au joli chapeau jaune-orangé. Ou Dieu. Ou un Dieu champignon tiens, ça me plait bien ça !
Ce soir, je dépose mon épée à côté de ta hache. Je suis fatiguée de me battre, et toi fatigué de vivre.
Que la mort te soit douce vieux guerrier ! Ton épouse adorée t'attend depuis longtemps déjà de l'autre côté.
Et moi je vais réapprendre tout simplement à vivre.
Chalom Dominique.
Ta fille-champignon.